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Published on tuesday january 30th 2024

Interview avec Claude Meisch, ministre du Logement et de l’Aménagement du territoire

Agir ensemble pour un avenir partagé

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Depuis le 17 novembre 2023, Claude Meisch occupe la fonction de ministre du Logement et de l’Aménagement du territoire, une mission loin d’être aisée. En effet, il doit faire face à deux défis majeurs : d’une part, la nécessité d’accroître le nombre de logements abordables dans le secteur public pour répondre à une démographie en constante croissance, et d’autre part, la crise qui frappe les domaines de la construction et de l’immobilier, accentuée par un gel des investissements privés. Le défi consiste à relancer une dynamique positive et à rétablir la confiance, en dépit d’un climat marqué par des incertitudes économiques importantes. Dans cet entretien approfondi, réalisé le 16 janvier 2024, le ministre nous expose ses ambitions et sa détermination à agir, collaborant étroitement avec les divers acteurs, tant publics que privés, pour relever ces enjeux cruciaux.

Wunnen : Dans quel état d’esprit abordez-vous ce ministère, lié à un sujet qui est considéré comme une priorité absolue depuis 20 ans ?

Claude Meisch : Tout d’abord, c’est un défi de taille. En tant que figure politique, cela représente pour moi une opportunité stimulante. Le logement constitue une question cruciale au Luxembourg, avec de fortes implications sociales. Il s’agit de pourvoir des logements abordables à un nombre croissant de personnes qui rencontrent des difficultés sur le marché immobilier privé. Cela devient également une question économique, car notre marché du travail dépend largement de l’immigration, et il est crucial de créer des logements suffisants au Luxembourg pour accueillir ceux qui souhaitent s’y établir et occuper un emploi. Cette question revêt une importance capitale pour l’avenir de notre pays, et c’est ce qui me pousse à assumer cette responsabilité, en complément de mes fonctions en tant que ministre de l’Éducation et de la Jeunesse, depuis maintenant une bonne décennie. C’est une mission que je veux assumer pleinement, mais c’est aussi une responsabilité collective impliquant pratiquement tous les niveaux gouvernementaux, ainsi que d’autres acteurs tels que les communes et le secteur privé.

Votre ministère associe le logement et l’aménagement du territoire. Comment ces deux volets sont-ils complémentaires pour mener à bien une stratégie de création de logements ?

Quand on parle de logement, il faut aborder les questions suivantes : où peut-on créer davantage de logements, et sous quelles formes ? La croissance du nombre de logements continuera-t-elle sur la même trajectoire ou devrait-on réorienter le développement de l’habitat au Luxembourg ? Quelles sont les nouvelles surfaces territoriales que l’on va utiliser pour répondre à ce besoin ?

Toutes ces considérations s’inscrivent dans le cadre fondamental de l’aménagement du territoire. Il s’agit de déterminer comment le pays souhaite évoluer dans son ensemble, en cherchant à concilier les aspects de la vie professionnelle et privée. Cela englobe des choix tels que le lieu de travail, le développement d’activités de loisirs, le choix du lieu de résidence et la question de la mobilité. Il est impératif d’établir des connexions entre le logement et d’autres secteurs de développement essentiels tels que l’économie et la mobilité.

En réunissant ces deux départements au sein d’un même ministère, Logement et Aménagement du territoire, nous identifions de réelles opportunités et un potentiel de développement, notamment en ce qui concerne l’utilisation des terrains détectés dans le cadre du plan sectoriel Logement. Nous pouvons également tirer parti d’instruments comme les plans d’occupation du sol pour planifier le développement de vastes zones résidentielles. L’intégration de la cellule de facilitation urbanisme et environnement, précédemment rattachée au ministère de la Digitalisation, renforce cette approche. Ainsi, le ministère se positionne comme un acteur clé, tant dans la conception de projets concrets que dans la conceptualisation plus générale.

Cette initiative va donc dans le sens de l’accélération et la simplification des démarches ?

En matière de logement, deux grandes priorités émergent dans le cadre du programme gouvernemental. La première consiste à accélérer la création de logements abordables pour développer un vaste parc public de logements abordables afin de jouer un rôle prépondérant sur le marché immobilier luxembourgeois, notamment sur le marché locatif. Cela représente une priorité majeure visant à exercer un contrôle effectif sur ce marché. D’un autre côté, il est crucial de répondre à la demande en veillant à ce que l’offre de logements soit alignée autant que possible sur les besoins. Ce défi persiste depuis 30 ans au Luxembourg, où la demande de logements est élevée, mais l’offre demeure relativement limitée. Pour rééquilibrer cette dynamique entre l’offre et la demande, il est impératif d’accélérer les procédures. Voilà la deuxième grande priorité. Cela ne signifie pas de sacrifier les préoccupations environnementales et de durabilité inhérentes à la construction. On ne veut pas construire n’importe quoi, n’importe comment et n’importe où : on veut une qualité de construction élevée tout en respectant les normes durables et environnementales. Cependant, il est crucial que ce processus soit plus efficace.

Lorsque je mentionne la responsabilité collective, cela renvoie précisément à la collaboration nécessaire avec d’autres ministères et collègues au sein du gouvernement. Par exemple, le ministre des Affaires intérieures supervise l’aménagement communal, le ministre de l’Environnement s’occupe des aspects environnementaux, et le ministre des Finances gère l’aspect fiscal du logement. Tous ces acteurs gouvernementaux sont étroitement liés, comme en témoigne l’initiative du « Logementsdësch » consistant à réunir tous les intervenants du pays autour du thème du logement. Cela se concrétise par des discussions autour d’une grande table, où plusieurs ministères gouvernementaux, y compris ceux que j’ai mentionnés, ainsi que les communes, le secteur privé, les constructeurs, les promoteurs immobiliers et d’autres parties prenantes participent activement.

Il est essentiel que ce ministère établisse des alliances avec d’autres ministères ainsi qu’avec les communes.

Vous avez fréquemment utilisé le terme « ensemble »… Est-ce le mot qui peut résumer votre approche ?

Absolument. Mes responsabilités dans ce ministère vont bien au-delà du simple logement abordable, même si c’est le point central. Cependant, c’est seulement une facette de la problématique du marché immobilier et du logement au Luxembourg. Il est essentiel que ce ministère établisse des alliances avec d’autres ministères ainsi qu’avec les communes. Il n’y a pas un seul logement qui est créé au Luxembourg sans qu’il y ait une autorisation de bâtir communale. Et si les communes ne veulent pas se développer davantage, on n’aura pas plus de logements les prochaines années. Ainsi, c’est en collaboration étroite avec ces divers acteurs que je souhaite m’investir dans ce ministère. Autrement, tous les programmes que nous pourrions lancer, tous les mécanismes que nous mettrions en place, ou toutes les décisions prises, que ce soit par moi-même ou par voie législative, resteraient sans effet. La clé est véritablement de travailler ensemble.

Nous devons garantir le respect de l’identité de chaque commune et de sa localité, ainsi que la qualité de vie des habitants.

Comment avez-vous l’intention de sensibiliser les acteurs communaux à cette question et de promouvoir une approche harmonieuse qui respecte les réalités locales tout en reconnaissant la nécessité d’agir ? Alors que les communes du Sud semblent être conscientes de l’importance de la densification, cela peut ne pas être le cas pour toutes les communes…

C’est possible. Mon expérience pendant douze ans en tant que maire d’une commune assez importante, ayant connu une croissance démographique significative, me permet d’apporter une certaine perspective. Je me rappelle que nous avions célébré le 20 000e habitant de la ville de Differdange - aujourd’hui, nous dépassons les 30 000 habitants. Je suis convaincu qu’il est possible d’assurer la qualité de vie, tout en développant davantage de logements. Je comprends parfaitement les préoccupations des bourgmestres, des échevins et des conseils communaux, qui aspirent à un développement harmonieux tout en préservant l’identité de leur commune. Du point de vue de l’aménagement du territoire, nous souhaitons éviter que les petits villages ne deviennent des petites villes. Nous voulons concentrer la création de logements, en particulier dans les grandes villes, par exemple à Luxembourg-Ville et son agglomération. La Nordstad offre un potentiel considérable pour redynamiser la région du Nord et créer de nouveaux logements. Les anciennes villes industrielles du sud du pays ont également un fort potentiel à exploiter. Je comprends les défis pour les maires qui doivent gérer le développement tout en investissant dans des infrastructures publiques, de nouvelles écoles, des crèches, des maisons relais, des équipements sportifs, etc. Nous devons garantir le respect de l’identité de chaque commune et de sa localité, ainsi que la qualité de vie des habitants. Dans cet esprit, je suis convaincu que des compromis équilibrés peuvent être trouvés en collaborant avec les décideurs communaux. Nous soutiendrons également les communes par le biais de subventions directes et d’autres aides pour l’aménagement de leurs quartiers, tout en préservant la qualité de vie de leurs habitants. Ainsi, nous n’abandonnerons pas les communes à elles-mêmes.

Les secteurs de l’immobilier et de la construction traversent une crise profonde. Quelles actions le gouvernement envisage-t-il afin de venir en aide à ces acteurs, pour le maintien des emplois et des savoir-faire, et pour la création de logements ?

Nous sommes effectivement dans une situation très particulière. D’un côté, depuis des années, il y a une forte demande en logements, on parle effectivement d’une « crise du logement ». D’un autre côté, le secteur de la construction traverse actuellement une période difficile en raison d’un ralentissement soudain de la demande. Historiquement, la situation a été caractérisée par une demande excessive, mais, dans la conjoncture actuelle, elle est en nette diminution. Le gouvernement est conscient de sa responsabilité face à cette situation, car il est dans notre intérêt de maintenir la capacité de production du secteur de la construction, afin d’éviter des faillites et de préserver le savoir-faire qui sera nécessaire dans les années à venir pour répondre à une demande croissante, allant au-delà des 3000 logements construits en moyenne par année. Dans ce contexte, le « Logementsdësch » apporte une première réponse à ce phénomène, en mettant en place des incitations fiscales visant à stimuler l’investissement dans le logement. Cette mesure est conçue pour une période limitée, visant à encourager les citoyens à investir maintenant, avec, à la clé, des avantages fiscaux pour la location ou l’usage personnel d’un logement.

Ce paquet fiscal, sur lequel travaille actuellement le ministre des Finances, fait l’objet de discussions approfondies pour évaluer son impact rapide sur les projets, la demande, et les choix à faire par les investisseurs potentiels.

Investir dans la pierre au Luxembourg reste une option d’investissement pertinent.

Le rétablissement de la confiance est essentiel…

En effet, il est crucial de restaurer la confiance dans l’investissement immobilier au Luxembourg, ce qui reste une décision judicieuse malgré divers facteurs tels que la hausse des taux d’intérêt et les incertitudes sur les marchés d’approvisionnement. La demande a connu une baisse notable au cours de la dernière année pour diverses raisons. Cependant, je suis très confiant, car les indicateurs du marché demeurent stables, avec une demande toujours élevée et un marché du travail dynamique qui crée continuellement de nouveaux emplois, engendrant ainsi une demande croissante de logements. Par conséquent, investir dans la pierre au Luxembourg reste une option d’investissement pertinente. Le gouvernement souhaite soutenir pour une période limitée ceux qui prennent cette décision, ce qui contribuerait également à relancer l’activité des entreprises de construction et à remplir leurs carnets de commandes.

D’autre part, l’État agit également en tant qu’investisseur et maître d’ouvrage dans le secteur du logement, avec des projets réalisés par les deux promoteurs publics, la Société nationale des habitations à bon marché (SNHBM) et le Fonds du Logement. En plus de cela, nous continuons d’acquérir des projets immobiliers en futur état d’achèvement (VEFA) sur le marché. Cela offre l’opportunité d’élargir rapidement le parc locatif de l’État. Nous pouvons acquérir des projets immobiliers privés, qui correspondent bien évidemment au cahier des charges pour le développement de logements abordables, tant du point de vue des caractéristiques que des conditions économiques. Bien entendu, il est clair que le secteur privé souhaite assurer son financement, couvrir ses coûts et réaliser un profit raisonnable. C’est pourquoi chaque transaction fait l’objet d’une négociation détaillée entre mes services (la commission d’acquisition dans laquelle siège aussi un représentant du ministère des finances et de l’IGF) et un promoteur privé. Le rachat de projets VEFA est inscrit dans le programme gouvernemental, démontrant notre intention de poursuivre dans cette direction.

Le marché est actuellement dans une situation délicate avec des prix qui stagnent, voire qui sont en baisse. C’est là une occasion à saisir pour tout investisseur, qu’il soit public ou privé…

Bien sûr, c’est le moment propice, comme le soulignent les analystes internationaux. La conjoncture actuelle du marché immobilier et du secteur de la construction n’est pas spécifique au Luxembourg, mais elle concerne également d’autres pays et centres urbains. Les experts recommandent clairement de tirer parti de cette conjoncture, d’autant plus que le gouvernement envisage une incitation fiscale limitée dans le temps pour les investissements immobiliers. Il est probable que les taux d’intérêt se normalisent et diminuent légèrement à l’avenir, renforçant ainsi l’argument en faveur de la saisie de cette opportunité. En tant qu’État, nous pouvons bénéficier d’une situation sur le marché immobilier luxembourgeois qui n’a pas été observée au cours des dernières décennies, et qui donne lieu à une volonté du secteur privé de vendre des projets à l’État. Cela offre une chance unique pour l’État.

Des pistes sont étudiées pour associer les acteurs privés et les investisseurs privés à la création de logements abordables, ce qui était jusqu’à présent plutôt réservé à la main publique.

À plus long terme, ne pensez-vous pas que la collaboration entre le secteur public et privé est une bonne solution pour créer des logements ? Vous avez mentionné que nous sommes actuellement à 3000 logements par an, alors que nous devrions en construire 6000. Avant la crise, atteindre ce chiffre était déjà difficile.

Comme je l’ai mentionné, c’est vraiment une question de teamwork. Pour rééquilibrer l’offre et la demande sur le marché immobilier au Luxembourg, tous les acteurs sont nécessaires, y compris l’État, les communes, ceux qui accordent les autorisations, les constructeurs publics, les développeurs publics, les promoteurs publics, mais aussi le secteur privé avec les développeurs privés et le secteur de la construction. Nous avons besoin d’un fort secteur privé, et le secteur privé doit aussi prendre ses responsabilités et construire plus.

D’ailleurs, en tant qu’État ou commune, nous ne construisons pas nous-mêmes

De toute façon, il y a toujours eu l’idée d’un partenariat public-privé, par exemple, lorsque le Fonds du Logement construit des logements avec l’aide des entrepreneurs et des artisans privés. Le programme gouvernemental suggère d’intensifier ces collaborations entre l’État et les entités privées. Des pistes sont étudiées pour associer les acteurs privés et les investisseurs privés à la création de logements abordables, ce qui était jusqu’à présent plutôt réservé à la main publique ou au secteur non lucratif. Dans d’autres pays, le secteur privé participe également à de telles initiatives. Il sera crucial de stimuler le secteur privé à augmenter la production de logements, car ni l’État, ni les promoteurs publics, ni les communes ne pourront combler suffisamment le déficit entre l’offre et la demande.

D’où l’importance de préserver la main-d’œuvre…

Absolument. Un autre domaine où l’État et le secteur public et privé sont étroitement liés se trouve dans l’article 29 bis de la législation sur l’aménagement communal. Cet article stipule qu’une partie des logements créés dans de nouveaux quartiers ou PAP doit être réservée aux logements abordables publics, construits ou rachetés par l’État ou la commune à des conditions avantageuses. Ainsi, dans un nouveau quartier avec, par exemple, 1000 logements à moyen terme, on pourrait prévoir que 20% de ces structures soient dédiées aux logements abordables, passant dans la main de l’État ou de la commune. En contrepartie, le développeur pourrait augmenter la densité du projet, créant ainsi une situation win-win pour toutes les parties.

Les banques sont devenues plus prudentes, limitant le financement tant pour le secteur privé que pour les particuliers. Comment venir en aide aux ménages qui sont à la peine à cause de la hausse des mensualités de crédit ?

Je suis particulièrement sensible à ce problème, car de nombreuses familles sont affectées par la hausse des taux d’intérêt. Cette situation n’est pas imputable aux familles ni à la politique luxembourgeoise, mais provient d’une évolution internationale inédite, avec une forte inflation découlant de plusieurs crises successives. Donc, c’est évident que la Banque européenne a dû réagir, comme d’autres banques centrales l’ont également fait sur d’autres continents. Pour aider ces familles à court terme et à moyen terme, nous pourrions envisager d’augmenter la déductibilité des intérêts payés sur le logement occupé par la famille. Heureusement, de nombreux emprunteurs ont opté pour des taux fixes ces dernières années, ce qui s’est avéré être une décision judicieuse à la lumière de la situation actuelle. En revanche, ceux qui ont choisi des taux variables sont maintenant fortement impactés. Le gouvernement n’a pas une influence directe sur les conditions de crédit bancaires, car cela relève du secteur privé. Les règles internationales de surveillance s’appliquent également, et même les banques luxembourgeoises ne sont pas autonomes dans ce contexte. Les conditions de refinancement ont également changé pour les banques, avec des intérêts plus élevés. Par conséquent, même si les taux ont augmenté, il n’est pas certain que les banques enregistrent des bénéfices significatifs.

Je comprends également les investisseurs et les propriétaires qui souhaitent une rentabilité équitable de leurs investissements.

L’accès de plus en plus difficile des citoyens à l’acquisition de logement les renvoie sur le marché de la location, qui connaît une hausse sans précédent. Qu’en est-il de la loi sur le bail à loyer, qui contenait un certain nombre de garde-fous pour empêcher les abus dans ce domaine ?

Le programme gouvernemental mentionne une révision de ce projet de loi, ce qui n’est pas évident, étant donné qu’il a suscité des critiques tant de la part de ceux défendant les intérêts des investisseurs que de ceux protégeant les intérêts des locataires. Pour que le marché immobilier fonctionne harmonieusement, il est nécessaire que tous les acteurs collaborent. Je comprends les préoccupations des locataires confrontés à des loyers élevés, ce qui constitue une question à la fois sociale et économique. Si une grande partie des citoyens doivent consacrer la moitié de leurs revenus au logement, cela engendre également des problèmes économiques dans d’autres secteurs. D’un autre côté, je comprends également les investisseurs et les propriétaires qui souhaitent une rentabilité équitable de leurs investissements. Pour attirer des investissements dans le secteur immobilier luxembourgeois, il faut garantir une certaine rentabilité par rapport à d’autres options d’investissement, que ce soit au Luxembourg ou ailleurs dans le monde. C’est un sujet délicat. Il aurait peut-être été plus judicieux de discuter de ces questions dans un contexte moins tumultueux, plutôt que pendant ces dernières années atypiques marquées par des crises multiples, une inflation galopante, des prix de l’énergie hors de contrôle, des loyers en hausse, des charges supplémentaires pour les ménages, des taux d’intérêt relativement élevés par rapport à la situation antérieure, des incertitudes sur le marché de la construction et des prix de construction hors de contrôle. Dans ce concours de circonstances, je comprends que les deux parties, les locataires et les propriétaires/investisseurs, craignent que la loi envisagée ne modifie trop de paramètres, potentiellement en faveur de la partie adverse. Les locataires estimaient que le projet de loi favorisait trop les investisseurs, tandis que ces derniers pensaient exactement le contraire. Je pense qu’un débat plus serein sur cette question serait possible dans une situation moins agitée. C’est pourquoi je m’investis actuellement au « Logementsdësch » dans les volets liés à la création de logements et particulièrement de logements abordables publics. Je travaille à permettre au ministère d’acquérir des projets à court terme pour élargir le parc locatif. La première urgence est de rassembler tous les acteurs pour sortir de la crise et d’augmenter l’offre de logements. Le projet de loi sur le bail à loyer restera un sujet de débat sur lequel on devra se pencher dans un contexte où les esprits se seront apaisés.

Parallèlement, pendant cette crise, on observe un déplacement d’une partie des investisseurs vers la location, entraînant une hausse des loyers. De nombreux immeubles sont désormais davantage dédiés à la location qu’à la vente, créant ainsi un défi important.

C’est vrai, mais pour atténuer la pression sur les loyers, il faut générer de nouveaux logements. Les personnes désireuses de louer actuellement sont contraintes de le faire, parfois à des prix excessifs, faute de pouvoir acheter un logement. Si l’on souhaite protéger les locataires et éviter une augmentation encore plus importante des loyers, il est impératif de créer plus de logements..

Quelles mesures spécifiques avez-vous l’intention de prendre pour lutter contre l’exclusion sociale en matière de logement, en particulier pour les personnes sans-abri ou à risque de le devenir ? Souvent, les communes disposent de logements d’urgence, mais peut-être pas en nombre suffisant…

Il s’agit précisément de donner aux communes la possibilité de créer davantage de logements abordables, permettant ainsi à tous ceux qui cherchent un logement d’y accéder à des prix abordables, y compris à une population défavorisée bénéficiant d’autres mesures sociales et n’ayant pas de revenu propre. Nous sommes très sensibles à cette problématique. En ce qui concerne les mesures liées au logement, il ne faudra pas uniquement se concentrer sur la stimulation de l’investissement. Bien que cela soit important pour rétablir l’équilibre entre l’offre et la demande, il est également crucial de prendre en compte la situation des locataires et des acheteurs potentiels. J’aimerais revisiter certaines dispositions du domaine des aides au logement individuelles, telles que la subvention loyer, la garantie d’État et la subvention d’intérêts, afin d’aider les particuliers à trouver et financer un logement. Il est nécessaire de revoir les critères, tout en améliorant la communication pour informer les gens sur les aides disponibles, par exemple la subvention de loyer. Cela pourrait être utile même pour ceux qui n’ont pas récemment signé un nouveau contrat de location et qui ont dû ajuster leurs revenus et dépenses. Il convient de faire savoir que cette aide est significative, accessible non seulement pour des revenus modestes, mais également pour des revenus moyens.

Il faut davantage de logements dédiés aux jeunes, car ces derniers sont souvent fragiles dans leur situation de vie.

On parle de création de logement, mais il existe aussi le parc existant avec beaucoup de maisons anciennes qui sont en attente de réaffectation ou inhabitées. Dans cette optique, est-ce qu’il n’y aurait pas des possibilités de favoriser des projets répondant à des besoins spécifiques comme les logements intergénérationnels, les logements accessibles aux personnes à mobilité réduite, les coopératives d’habitation, etc. ?

L’une des préoccupations de la nouvelle législation sur le logement abordable définit des populations spécifiques auxquelles doit s’adresser une offre de logement public et abordable, comme les personnes plus âgées, les jeunes, les étudiants, les personnes à mobilité réduite. Les acteurs, tels que les promoteurs publics, les communes et les associations à vocation sociale, sont appelés à détecter les besoins. Par exemple, il y a des jeunes qui préfèrent se loger avec d’autres jeunes, mais il peut aussi y avoir des jeunes qui veulent intégrer une maison intergénérationnelle. Donc, il faudra trouver un équilibre entre le développement de tels projets et la demande réelle pour ces solutions spécifiques. En tant qu’ancien ministre de l’Enseignement supérieur, je sais qu’il existe encore un besoin en logements pour étudiants. De façon générale, il faut davantage de logements dédiés aux jeunes, car ces derniers sont souvent fragiles dans leur situation de vie, devant gérer la transition entre les études et la vie professionnelle, sans contrat à durée indéterminée, avec des difficultés financières et l’incapacité de constituer des économies pour accéder à un prêt par la suite. J’aimerais réfléchir à la manière de développer davantage de projets destinés aux jeunes qui sont dans cette phase de transition de leur vie, ciblant les étudiants, les jeunes en apprentissage et ceux qui ont commencé à travailler. De tels projets existent à l’étranger, et nous pourrions les adapter à notre pays. Il y a aussi l’idée de la colocation, qui évite de diviser une maison unifamiliale en trois ou quatre studios, mais qui implique de gérer cette maison en tant que colocation. C’est une culture qui est assez nouvelle pour Luxembourg, mais avec plus de jeunes, surtout plus d’étudiants, et avec la situation que nous retrouvons sur le marché immobilier, c’est un mode d’habitat qui fera son chemin.

Depuis plus de 100 ans, le Luxembourg a délibérément choisi de devenir un acteur économique majeur pour garantir une certaine prospérité et une protection sociale pour ses habitants.

La croissance économique a toujours été un objectif, induisant une hausse démographique et un besoin de logement conséquent. Comment préserver une qualité de vie et d’habitat avec une population en constante augmentation ?

On constate des phénomènes similaires dans d’autres agglomérations à travers l’Europe, en Allemagne ou en France. Depuis plus de 100 ans, le Luxembourg a délibérément choisi de devenir un acteur économique majeur pour garantir une certaine prospérité et une protection sociale pour ses habitants. Cela a également offert des opportunités à de nombreuses personnes qui se sont installées au Luxembourg avec leur famille au fil du temps, cherchant un emploi stable et devenant, par la suite, des Luxembourgeois de deuxième ou troisième génération. Cette diversité a toujours constitué l’identité du Grand-Duché. Cependant, comme dans d’autres pays, surtout autour des grandes villes, cela crée des problèmes qui ne se résoudront pas d’eux-mêmes. Jusqu’à présent, on avait peut-être l’impression que la demande et l’offre se régulaient d’elles-mêmes, avec les constructeurs répondant à la demande croissante. Mais nous atteignons maintenant un niveau où la solution ne peut plus émerger naturellement, et l’État, en collaboration avec d’autres acteurs, doit jouer un rôle principal. Il est impératif de construire davantage, plus rapidement, et de créer un parc immobilier étatique ou public pour rétablir un nouvel équilibre, non seulement entre la demande et l’offre sur le marché du logement, mais aussi entre ceux qui peuvent se permettre des logements à des prix élevés et ceux qui ne le peuvent pas. Dans un petit pays comme le Luxembourg, il est crucial d’avoir une population diversifiée. Le marché de l’emploi a besoin de jeunes talents s’installant au Luxembourg pour travailler dans différentes branches, mais qui peuvent rencontrer des difficultés à trouver un logement sur le marché privé. Cet aspect a peut-être été négligé pendant trop longtemps au cours des dernières décennies.

Il s’agit du vivre ensemble, en fait, avec un espoir de progresser socialement…

Oui, cela concerne à la fois le progrès et la cohésion sociale, permettant à chacun de trouver sa place. Pour former une société dynamique, une diversité de personnes est nécessaire, y compris celles qui ne peuvent pas se loger sur le marché privé. C’est une approche qui a été adoptée bien plus tôt par d’autres villes, pays et agglomérations, et c’est vers cette direction que j’aimerais orienter notre politique au Luxembourg

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