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Publié le vendredi 20 octobre 2023
La culture à la bonne pointure
La culture à la bonne pointure
La culture à la bonne pointure
	Salle Jean Schortgen , Schungfabrik

Salle Jean Schortgen : la salle des représentations au 1er étage de la Schungfabrik.

La culture à la bonne pointure

Hall d’accueil de la nouvelle annexe et point de vue sur l’espace Kirscht.

Schungfabrik Tétange

La culture à la bonne pointure

La Schungfabrik est un centre culturel situé à Tétange, dans la commune de Kayl. Ancienne fabrique de chaussures, le bâtiment a été réaffecté dans les années 1980. Alliant interdisciplinarité, mémoire industrielle et ressources locales, c’est un lieu remarquable en termes d’architecture et de rayonnement culturel.

Depuis sa reconversion, le bâtiment a fait l’objet de différentes interventions, la dernière en date étant l’adjonction d’une annexe, le Musée Ferrum, inauguré en 2022.

Au début, il y eut une cordonnerie

Mais revenons aux origines historiques de l’édifice. Tout commença par une idée de chaussures.

En 1880, Mathias Hubert ouvrit un atelier de cordonnerie dans sa propre maison d’habitation à Tétange. L’activité minière était en plein essor, ce qui avait pour effet de dynamiser toute l’économie de la région. Après quelques années, Mathias Hubert constata qu’il lui manquait de la place pour répondre à la demande croissante de chaussures de travail, ce qui l’amena à envisager une nouvelle structure. En 1912/13, il fit construire un premier bâtiment industriel sur le lieu-dit Neuwies, rue Pierre Schiltz. L’édifice alliait des éléments Art déco avec ceux de l’architecture classique. En 1917, la fabrique fut complétée par une annexe. L’entreprise employait alors 70 personnes.

L’activité se poursuivit avec succès pendant quelques décennies, Hubert s’affirmant de plus en plus comme une marque de prestige. À ses débuts, l’usine produisait surtout des guêtres et des chaussures de travail. Plus tard, elle se spécialisa dans les chaussures à pointe métallique – un type de chaussures très demandé suite au développement rapide de la sidérurgie et à l’augmentation en flèche du nombre des mineurs. Elle confectionna aussi des collections de chaussures de ville.

Cependant, avec le déclin de l’activité minière, la fabrique de chaussures vit baisser ses commandes.

En 1964, la famille Hubert céda l’entreprise à un nouvel exploitant, H. Jordan. Ce dernier ne parvint malheureusement pas à renverser la tendance et dut déclarer faillite en 1966. Pendant plusieurs années le bâtiment resta vide et inutilisé. En 1973, il fut vendu à un marchand de meubles qui en fit son entrepôt.

La reconversion

En 1980, la commune rachète la propriété ainsi que le terrain adjacent. Très vite l’idée éclot de transformer la Schungfabrik en un lieu culturel. En 1984, le bâtiment est inscrit sur l’inventaire supplémentaire des monuments classés. Les travaux de restauration et de transformation sont engagés en 1987, sous la direction du bureau d’architecture Hermann & Valentiny. Le nouveau centre culturel Schungfabrik est inauguré le 19 janvier 1990.

A partir de 2007, la commune décide d’allouer plus de moyens au complexe afin d’assurer une programmation plus régulière.

Dès 2010 et jusqu’en 2021, le bureau Decker, Lammar & Associés entreprend des travaux de mise en conformité et de réfection. Cette intervention donne lieu à différentes transformations : création d’une nouvelle entrée tournée vers la place et d’une sortie de secours pour les salles de l’étage ; aménagement au sous-sol de quatre studios insonorisés pour des répétitions ; aménagement de la grande cour et de la cour d’entrée ; intégration d’un bassin avec sculpture. La salle des fêtes du premier étage est optimisée sur le plan acoustique et la scène est élargie vers l’avant. De nouvelles fenêtres en acier sont installées. La rénovation porte également sur les sols et peintures des salles, les châssis de fenêtres historiques, les façades et les toitures.

La première rénovation de la Schungfabrik a été réalisée entre 1987 et 1990 par le bureau Hermann & Valentiny.

La nouvelle annexe

Dans la perspective de « Esch2022, capitale de la Culture », la commune adopte en 2018 le projet de réalisation d’une annexe à l’arrière du bâtiment principal. Cet ajout, dont les travaux s’étalent de 2019 à 2021, associe les anciens ateliers communaux et une nouvelle construction de style contemporain. Il en résulte une nouvelle entité qui vient se placer sous le parapluie de la Schungfabrik. Le nouveau Musée Ferrum se compose de trois parties distinctes : un espace musée consacré à l’histoire locale, une salle multifonctionnelle, où se déroulent les ateliers pédagogiques, et une galerie d’art, l’espace Kirscht, destiné à accueillir de façon régulière aussi bien les œuvres de l’artiste Emile Kirscht que des expositions itinérantes.

L’architecture de ce nouveau projet est conçue par le bureau Decker, Lammar & Associés. Les aménagements intérieurs et la muséographie sont réalisés par le bureau NJoy.

L’espace muséal met en avant l’histoire de la commune de Kayl, depuis l’âge de pierre jusqu’à aujourd’hui. Un accent particulier est mis sur l’histoire industrielle des 19e et 20e siècles. L’exposition présente une vaste collection d’artéfacts et d’archives, incluant des objets, des outils, des documents, des photographies, des films… Ces éléments témoignent des différentes firmes qui étaient établies dans la localité et qui agissaient comme fournisseurs de l’industrie lourde. Un autre volet important du musée est dédié à l’histoire minière de la commune et au mouvement ouvrier.

Le musée Ferrum s’adresse à un public à la fois local et national et à toutes les personnes intéressées par l’histoire de la vallée de Kayl. Par ailleurs, le musée a également comme public cible les élèves des écoles fondamentales et secondaires. Une salle multifonctionnelle dotée d’un espace cuisine permet d’organiser des ateliers pédagogiques et des activités ludiques.

Quant à l’espace Kirscht, il est destiné à accueillir différentes expositions tout au long de l’année, notamment une exposition des œuvres de l’artiste Emile Kirscht, ayant vécu de 1913 à 1994 dans la localité et dont la commune a bénéficié d’un legs important.

www..schungfabrik.lu

La culture à la bonne pointure
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« Santiago », Emile Kirscht

L’architecte a fait référence à l’œuvre de Kirscht, ses couleurs, ses matières et ses formes, en se basant notamment sur un tableau intitulé « Santiago ».

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Edmond Decker, architecte Decker, Lammar & Associés

« Le projet s’inscrit dans le programme « Holz vun hei » de l’ANF visant la valorisation du bois local. »
Edmond Decker, architecte - Decker, Lammar & Associés

Wunnen : Comment avez-vous abordé le concept de l’espace Kirscht ?

Emond Decker : Le concept repose à la fois sur l’expression du bois en contraste avec l’ancien bâtiment de facture minérale et sur le programme d’exposition dédié à l’œuvre du peintre Emile Kirscht. Kirscht est considéré comme un artiste essentiel de l’expression picturale du Luxembourg de la seconde moitié du 20e siècle. Dans l’élaboration de la galerie, nous avons fait référence à l’œuvre de Kirscht, ses couleurs, ses matières et ses formes, en nous basant notamment sur un tableau intitulé « Santiago ». Les volumes reprennent autant l’orthogonalité de l’ancienne structure que l’orientation en symétrie des façades d’en face.

Le bois prend une place primordiale dans cet espace…

En effet, le projet s’inscrit dans l’objectif de l’Administration de la nature et des forêts de faire usage du bois local. Ainsi, la structure a été réalisée en chêne local prélevé dans la forêt d’une commune voisine. Le parquet provient du sciage des sections plus fines du même lot. La construction a été réalisée par des entreprises luxembourgeoises sélectionnées dans un rayon de 50 km. Murs et couverture sont constitués de panneaux en CLT d’épicéa, qui servent également de contreventement. Afin d’offrir un fond approprié aux tableaux à exposer, le CLT a été teinté en vert de gris pour les murs et en rouge Pompéi pour le plafond. Les veines du bois apparaissent en transparence, comme de la soie tendue.

La couverture est composée de cassettes qui suggèrent l’effort porteur de la toiture…

La structure est formée par l’empilage croisé de poutres (section de 20x20 cm) superposées en 5 couches, pour former des cassettes (3x3 m) appuyées sur 12 poteaux. La hauteur des cassettes est de 1 m pour une portée de 9 m. La hauteur libre sous cassette est quant à elle de 3,25 m. Le volume brut - les billes de bois, la structure et le plancher - était de 33 m3 en forêt. La structure nette correspond à un volume de 12 m3.

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Nathalie Jacoby, architecte d’intérieur - Njoy

« L’ambiance sombre des salles évoque les galeries souterraines qu’arpentaient les mineurs. »
Nathalie Jacoby, Njoy

Wunnen : En quoi consiste l’exposition au Musée Ferrum ?

Nathalie Jacoby : L’exposition présente l’histoire du développement de la vallée de Kayl avec un focus sur les industries qui se sont implantées au cours des 19e et 20e siècle comme fournisseurs de la sidérurgie. Des buggies aux lampes à acétylène et aux chaussures des mineurs, ce sont ces entreprises qui avec leur production locale ont façonné le paysage et laissé leur empreinte sur la démographie et la société de la vallée. Le sujet est très vaste et varié, or l’espace d’exposition (135 m2) est limité.

Quels ont été les choix principaux pour la scénographie ?

En partant d’objets originaux inédits et d’une « timeline » pour situer Kayl/Tétange dans le grand contexte, la mise en espace laisse le choix au visiteur, soit de se focaliser sur chaque thème particulier, soit de glaner des informations tout en captant l’essentiel. D’une certaine façon, l’ambiance sombre et la forme étroite des deux salles profondes avec leurs murs badigeonnés de noir évoquent les galeries souterraines qu’arpentaient les mineurs. D’emblée, le regard est capté par des bandeaux tendus qui parcourent l’espace sur deux niveaux comme des rubans convoyeurs posés à la verticale. Y sont abordés les sujets principaux, par du texte, des photos, des graphiques, des projections vidéo, dans un mélange impressionniste. En dessous, de longues tables présentoirs en acier noir, dont la forme s’inspire du convoi de wagonnets buggies, cadrent l’espace et font découvrir au visiteur des fragments d’objets, des bandes son, des films, ainsi que des sujets spécialement dédiés aux plus jeunes. 

Comment tenir compte du fait que cette exposition historique peut s’enrichir ou se restructurer à l’avenir ?

La scénographie est évolutive et n’utilise que trois matériaux : l’acier, le verre et la toile tendue. Les tables présentoirs étant composées d’un module technique identique récurrent, elles peuvent être agrémentées au choix par des panneaux de texte, des vitrines, des panneaux de verre imprimés rétroéclairés. Les sujets pourront donc évoluer avec le temps en utilisant d’autres composants.

Recherches historiques et scénario : Laure Caregari / Historical Consulting
Scénographie et architecture d’intérieur des espaces annexes à l’exposition (accueil, workshop…) : Njoy
Création graphique : Monogram
Illustrations circuit pour jeunes : Annick Sinner

La culture à la bonne pointure
La culture à la bonne pointure

Pascal Useldinger et Marieke Jarvis - Service culturel de la commune Kayl-Tétange

Le service culturel de la commune Kayl-Tétange s’occupe de la gestion et de la programmation de la Schungfabrik.

Pascal Useldinger et Marieke Jarvis nous dévoilent les grandes lignes directrices de leur mission.

« Créer des synergies et rassembler des gens »
Marieke Jarvis - service culturel de la commune Kayl-Tétange

Wunnen : Quels sont le sens et les objectifs du Musée Ferrum, cette structure annexe qui est venue s’adjoindre à la Schungfabrik ?

Pascal Useldinger : L’idée germait depuis 2013, peut-être même déjà avant, de créer un musée autour des petites industries qui ont marqué la riche histoire de la vallée de Kayl. Mais on voulait que ce soit un musée vivant, accessible, compréhensible. Justement, la salle multifonctions qui a été aménagée dans les anciens ateliers communaux permet d’organiser différentes activités qui rendent plus vivante et réelle toute l’histoire qui est exposée dans le musée.

Marieke Jarvis : Ainsi, deux pédagogues animent régulièrement des ateliers avec des classes primaires, non seulement au travers d’exposés ludiques et de travaux pratiques dans la salle, mais aussi en les emmenant en balade sur les anciens sites miniers, aujourd’hui regagnés par la nature. Ce musée vise la transmission de la mémoire industrielle aux générations actuelles et futures, mais il ne se veut pas figé dans le temps, son contenu évoluera, sera actualisé au fur et à mesure des recherches et découvertes qui seront faites sur l’histoire de la région.

Quelle est la raison d’être de l’espace Kirscht, la structure contemporaine qui a été ajoutée au musée ?

Pascal Useldinger : Cet espace complète la palette d’activités offertes par la Schungfabrik. Il a pour objectif d’accueillir différentes expositions au cours de l’année : une exposition consacrée aux œuvres du peintre Joseph Kirscht, dont la commune a hérité d’un legs important ; une exposition ou installation organisée par le MUAR - Musée vun der Aarbecht –, un projet qui est né dans le cadre d’Esch2022 ; et une exposition produite par notre service culturel, qui cette année portera sur le skate-boarding, une pratique qui a fait l’objet d’un grand engouement à Tétange. Outre ces manifestations, il sera encore possible d’intégrer dans le calendrier annuel une exposition de source extérieure.

Face au vent nouveau qu’apportent le Musée Ferrum et l’espace Kirscht, la Schungfabrik peut se prévaloir de plusieurs décennies à son compteur en tant que centre culturel…

Marieke Jarvis : En effet, mais là aussi, nous nous posons constamment la question de rafraîchir la programmation. Même si la Schungfabrik est vouée principalement à accueillir les événements des associations locales, il reste de la place pour présenter régulièrement des spectacles venus de l’extérieur. Dans ce domaine, nous ne favorisons aucun style en particulier et ne cherchons à concurrencer aucune autre institution culturelle, nous choisissons simplement des artistes qui nous semblent originaux, inventifs et honnêtes. Nous accordons aussi une place aux jeunes artistes locaux, en réalisant des résidences artistiques avec eux ou en leur permettant d’utiliser les salles de répétitions.

Pascal Useldinger : Nous misons aussi sur des événements transdisciplinaires, en mettant à profit les différentes structures qui font partie du complexe culturel : la salle Schortgen, la salle des fêtes, la salle multifonctionnelle ou encore l’espace Kirscht. Par exemple, le festival « This is a human’s world » en septembre comprendra des concerts de musique, du stand-up, des tables rondes… le tout s’articulant autour de la thématique de la cause féminine. L’important est de proposer des ponts entre les artistes et les publics de différents horizons. C’est probablement là la mission première que nous nous donnons à la Schungfabrik : créer des synergies et rassembler les gens, sur la scène, derrière la scène et devant la scène.

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