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Publié le mercredi 4 octobre 2023
Voyage au cœur de la mémoire
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Voyage au cœur de la mémoire
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Voyage au cœur de la mémoire
La panthère en bronze, Roger Godchaux

La panthère en bronze au modelé très élégant de Roger Godchaux, l’un des meilleurs sculpteurs animaliers du 20e siècle.

Josette et Guy

Voyage au cœur de la mémoire

Josette et Guy nous accueillent dans leur maison familiale bicentenaire, riche en caractère et architecture.

On tire le rideau et on découvre un cadre feutré, tout en douceur et sérénité.

Josette et Guy forment un couple passionné d’art et d’histoire, et leur habitation est un univers précieux dans lequel chaque objet raconte une histoire, tout en s’articulant avec les autres pour former des ambiances harmonieuses. Meubles d’époque, boiseries chaleureuses, tentures discrètes et subtiles, lumières tamisées, objets d’art raffinés, la maison du couple est un véritable morceau de patrimoine architectural. Mais aucun désir de muséifier les objets, au contraire, l’important est de les faire vivre au quotidien ! Entretien avec Guy, le maître des lieux.

Wunnen : Quelle est l’histoire de cette maison ?

Guy : Cette maison est le berceau de mes ancêtres, conservée de génération en génération. Typique de la région, elle est une ferme du début du 19e siècle, tout en longueur, avec une étable, une grange et une bergerie, construite sur une propriété familiale. Celle-ci fit son entrée dans la famille, il y a plus de 300 ans. Ancienne vouerie, dépendant de la seigneurie locale, elle est mentionnée dès 1611. Ses tenanciers étaient de condition servile jusqu’en 1782. Grâce aux papiers familiaux – les documents les plus anciens datent de la fin du 17e siècle – il est possible de retracer le cheminement à travers les siècles avec tout ce qu’il comporte de bonheurs et de malheurs.

La maison a-t-elle subi beaucoup de modifications au fil du temps ?

Quand je me suis porté acquéreur de la maison, elle se trouvait dans un triste état. Elle avait bien gardé la représentativité, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur, de son époque. Si elle avait subi quelques transformations au fil de ses nombreuses années de vie, celles-ci étaient quasiment imperceptibles et restaient en adéquation avec l’architecture (sans architecte !) originelle. Passés deux ans, et des montagnes de travaux, la maison a retrouvé une nouvelle vie. Nous ne sommes pas allés trop loin dans la rénovation pour ne pas dénaturer le caractère de l’ensemble. Aux proportions des espaces, il ne fallait pas toucher.

Depuis quand y habitez-vous ?

Après notre mariage en 1981, ma femme et moi y avons élu domicile.

C’est une maison familiale. Vous représentez la 12e génération. Forcément, quand vous regardez ces murs, c’est comme si vous feuilletiez un livre…

Dans cette maison de famille, où chaque génération a laissé son empreinte, il subsiste quelque chose de très spécial, de différent, d’inexplicable. La mémoire des lieux nous a investis. C’est une dimension, un charme, une atmosphère, une sensation de continuité, de traditions, le bonheur de vivre dans un endroit aimé, qui l’a été dans le passé, qui l’est au présent et qui, j’ose l’espérer, le sera dans le futur.

Quels sont les avantages de vivre dans une maison ancienne et non dans une maison contemporaine ?

Toutes les maisons sont idéales, lorsque l’architecture et l’aménagement sont harmonieux. Plusieurs facteurs sont essentiels : espace suffisant, sérénité, confort et fonctionnalité. Je pense que notre maison de campagne séculaire, qui est restée authentique, où l’on vit vraiment, combine respect de l’ancien et dynamisme moderne. Ce n’est pas un musée, nous voulons la garder très vivante. Je suis alarmé par le manque de goût dans l’expansion urbaine, de ses lotissements sans charme avec ses habitations stéréotypées et transparentes à l’aménagement minimaliste.

Conjuguer le passé au présent

Vous cultivez une autre passion complémentaire de l’architecture traditionnelle, celle des meubles et objets anciens, pièces de collection, tableaux…

Il se peut que le goût pour ce qui est beau soit inscrit dans les gènes ! Personnellement, je ne pense pas que la passion pour tout ce qui a une « âme » soit innée. On ne naît pas esthète, on le devient ! Pour cela, il suffit de s’éduquer à reconnaître les divers styles et époques, et à comprendre leur évolution. Plongez-vous dans le plus grand nombre de livres spécialisés, allez aux musées, dans les galeries, examinez, comparez… A force de ce travail seulement, vous aiguisez le sens de la beauté et développez cette sensibilité et la capacité de jugement.

Quelles sont les périodes et les styles qui vous intéressent particulièrement ?

La période au tournant du xviiie et du xixe siècle me passionne particulièrement. En effet, le néoclassicisme et le postnéoclassicisme sont pour moi l’un des âges d’or de l’architecture et de l’art, correspondant aux styles Louis XVI et Empire, avec le style du Directoire s’imposant comme période intermédiaire. Les bouleversements sur tous les plans – politiques, économiques, sociétaux et artistiques – amènent une modernité nouvelle et aboutissent à des expressions nouvelles.

Quel est l’impact de ces meubles anciens sur votre quotidien ?

Nous vivons dans une parfaite symbiose entre l’ancien et l’atmosphère contemporaine. Le mobilier ancien possède dans notre habitation une toute autre fonction que statique ou muséologique. Nous nous en servons, il est utilisé couramment. Bien sûr, nous accordons une grande importance à sa valeur décorative. Notre philosophie est la suivante : la raison pour laquelle les objets ont été fabriqués doit toujours pouvoir être vérifiée ; un meuble doit encore pouvoir servir aujourd’hui. Par ailleurs, pour moi, aucun plaisir n’est aussi fort que de celui de tirer de l’oubli un objet du passé laissé pour compte et de lui rendre son éclat terni par les vicissitudes de l’Histoire, découvrir sa technique de fabrication et, à travers les traces de sa vie, deviner une partie de son histoire.

Chaque meuble ancien porte en lui le souvenir d’un autre temps, d’une tradition oubliée et des personnes qui l’ont utilisé. Ma femme et moi avons introduit chacun son univers et ses souvenirs de famille. Certains rappellent notre jeunesse : ce sont de vrais souvenirs. Peut-on, par exemple, rester insensible devant la beauté du mécanisme d’une pendule ancienne, surtout quand on sait que la conception des parties cachées a réclamé autant d’attention que celle du boîtier ? Certes, ces objets n’ont sans doute pas la même signification pour chacun, mais ils dévoilent le goût et montrent la vraie personnalité de son propriétaire.

Les objets qui ont du cœur

Si vous deviez prendre un seul meuble/objet sur une île déserte, quel serait-il ?

Avant toute chose, j’emmènerais ma planche à voile ! En outre, je serais content de pouvoir emporter ma « protégée », une panthère en bronze au modelé très élégant de Roger Godchaux, l’un des meilleurs sculpteurs animaliers du xxe siècle.

En tant que passionné et amateur, il faut sans doute un certain degré d’expertise pour identifier les pièces authentiques...

L’authenticité est de plus en plus menacée. Je suis intimement persuadé qu’aucun collectionneur ou amateur n’est à l’abri d’erreurs et de tromperies. Des cas récents montrent que même des experts se laissent tromper au plus haut niveau. Rappelez-vous l’affaire des faux sièges acquis par le Château de Versailles à des prix astronomiques, alors qu’il s’agissait en fait de contrefaçons récentes. Certains musées regorgeraient de faux ! Imaginez donc que le véritable profane ne se fasse berner ! A force d’observer, de palper, de comparer et de s’informer, on arrive à se « faire l’œil » et à éviter les pires surprises. Enfin, il faut se planter pour pousser ! (sourires).

Comment cette passion se vit-elle au sein d’un couple ?

Ma femme a une approche semblable à la mienne. Tout comme moi, elle est touchée par le virus pour les antiquités. Les quêtes passionnées au milieu du fatras de brocanteurs, de même que les visites des grands salons des antiquaires (Brafa, Tefaf, Eurantica etc. ) se font en couple. De plus, c’est ma femme qui ajoute une importante dimension décorative à la maison : dispositions, couleurs, tentures…, tout comme elle aime mettre en scène son amour de recevoir famille et amis.

Vous avez deux enfants, aujourd’hui adultes - que pensent-ils de la maison dans laquelle ils ont grandi ?

Epris du passé – voyez leur formation : historien et historienne de l’art – ils sont tout aussi bien ouverts au présent. Les lieux de leur enfance et de leur jeunesse évoquent bien sûr des souvenirs, des émotions et des aventures. Des liens étroits se sont noués au fil du temps. Ils sont conscients tant de la puissance de la tradition que de l’obligation de la continuité.

Quand les objets s’assemblent

Comment déterminez-vous la disposition des objets dans la maison, afin que les ambiances restent légères et harmonieuses ?

Evitez l’ostentatoire et les objets jurant avec le reste du décor ! La décoration d’un espace de vie commence toujours à partir d’un bel objet ou d’un beau meuble, autour duquel une ambiance est créée. Il est passionnant de mélanger les meubles et les objets de différentes régions et de périodes très éloignées. Cette confrontation fait voyager d’une culture à l’autre, pas seulement sur le plan esthétique, mais assure également des messages nés d’inspirations croisées ou de dialogues. Je revendique l’éclectisme et aime l’idée du work in progress ; un aménagement intérieur n’est jamais figé, pas plus qu’il n’est réglé jusque dans le moindre détail. A l’instar de Jean Cocteau, je me méfie du « bon goût », que lui considère comme « une faute de goût ».

Après des dizaines d’années de passion et de collection, la question du rangement devient certainement cruciale…

De l’art du rangement à celui du « dérangement », il existe une palette de nuances qui constituent des styles plus ou moins ostentatoires. Collectionneur invétéré, oui, mais je ne suis pas collectionneur boulimique ou fétichiste de l’accumulation. Certes, les découvertes s’élargissent avec le temps, mais l’agencement et l’organisation évoluent tout aussi bien. Je me qualifie comme défenseur du « sympathique » désordre.

De l’importance de la mémoire

Comment voyez-vous l’avenir des meubles anciens et authentiques en général ?

Les temps où le « rustique » et les objets de second rang ont fait les choux gras des antiquaires sont définitivement révolus. Ces meubles, pas plus que le mobilier antique de style, ne sont plus du goût de la jeune génération, laquelle s’enthousiasme plutôt pour ce qui est devenu « vintage » ou kitsch. En raison de la mentalité prévalant aujourd’hui où tout est imité sans fin et où les modes superficielles en matière d’aménagement d’intérieur se succèdent toujours plus rapidement, même la belle antiquité a perdu en intérêt. L’influence des antiquaires dans ce mouvement n’est pas anodine : ce sont eux qui anticipent, font et défont les modes. Parions que les tendances actuelles, un jour, vont s’inverser !

Pourquoi vous semble-t-il important de valoriser et sauvegarder les objets riches en histoire ?

Les meubles anciens sont significatifs de l’art d’habiter et, pour tout dire, celui de l’affirmation d’une esthétique. Témoins ayant traversé les siècles, ils établissent donc un lien avec notre passé et figurent comme témoins de techniques artisanales disparues. Sauvegarder ces biens, ne serait-ce pas honorer leurs talentueux créateurs ? Enfin, arrêtons d’être prétentieux ! Une partie de nos contemporains, et non la moindre, s’est inscrite dans une démarche que je qualifie de méprisante vis-à-vis du legs de ses ancêtres. Ces « homines novi », fanatiques des soi-disantes modes, ne rechignent pas à laisser partir en fumée ce qui a été cher aux générations antérieures. Manque de sensibilité et de respect pour celles-ci, alors que trouver l’argent pour acquérir ces biens était souvent le résultat d’acrobaties financières.

Il arrive ainsi malheureusement que des personnes peu sensibles se débarrassent d’œuvres de peintres anciens renommés, en les jetant dans la déchetterie, sans état d’âme aucun…

L’importance de sauvegarder une maison ancienne comme la vôtre ? Cette bâtisse résonne certainement dans le village…

Au grand jamais voudrais-je verser dans la magnificence, mais la maison avec son implantation au centre du village dans un alignement avec d’autres maisons anciennes, toutes figurant au patrimoine protégé, a déjà dû interpeller le peintre luxembourgeois Joseph Kutter, qui l’a choisie comme sujet au moins à deux reprises. Certes, un ensemble cohérent de bâtiments anciens restaurés selon les règles de l’art constitue toujours une plus-value pour une localité. Plusieurs fois cet ensemble restauré est évoqué comme exemple et figure en bonne place dans les publications sur l’habitat rural.

On n’est pas propriétaire de sa montre (de marque), on en prend soin pour la prochaine génération… C’est aussi comme cela que vous voyez votre rôle ?

C’est bien vu, nous n’en sommes pas les propriétaires dans l’absolu, mais seulement les gardiens ou passeurs des legs de l’histoire, pour en profiter un temps plus ou moins long. Bien sûr que je m’inscris dans ce rôle. Les objets d’art ont la vie longue, mais le séjour court ! Ils ont appartenu à d’autres, et il me plaît de penser qu’ils seront plus tard entre d’autres mains. Mais, en les ôtant de leur contexte familial ou culturel, ils perdent leur valeur affective.

Photos : P. Lobo

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